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JEAN MOULIN. PREMIER COMBAT. DEUXIEME PARTIE.

01.02.2023 14:24

JEAN MOULIN  PREMIER COMBAT

 

DEUXIEME  partie

 

 

 

 

 

JEAN MOULIN

 

PREMIER  COMBAT

 

Préface du Général de Gaulle

 

LES ÉDITIONS DE MINUIT

© 1947 by LES ÉDITIONS DE MINUIT pour l'édition papier

 

© 2013 by LES ÉDITIONS DE MINUIT pour la présente édition électronique

www.leseditionsdeminuit.fr

ISBN 9782707326928

 

APPENDICES

 

AVANT LE DRAME

 

Préfet d’Eure-et-Loir. Le 21 janvier 1939. Jean Moulin est nommé préfet d’Eure-et-Loir avec entrée en fonctions le 21 février 1939.

La foi patriotique et l’ardeur républicaine de Jean Moulin eurent l’occasion de se manifester à Chartres, au cours de l’année 1939, notamment au Banquet Marceau, au conseil général d’Eure-et-Loir, et, à la veille de la guerre, par la préparation du 150e anniversaire de la Révolution française.

 

EXTRAITS DU DISCOURS

PRONONCE A CHARTRES

AU BANQUET MARCEAU

(5 mars 1939)

 

« Je suis de ceux qui pensent que la République ne doit pas renier ses origines et qu’elle doit, tout au contraire, se pencher avec fidélité, avec respect, sur les grandes heures qui ont marqué sa naissance. Et c’est pourquoi il m’est infiniment agréable de voir que, dans ce département, des hommes s’assemblent tous les ans, unis par la même ferveur, pour perpétuer le culte de l’un de ceux qui ont semé le meilleur de notre idéal.

Messieurs, dans un temps où, de par le monde, les valeurs spirituelles, les principes de libéralisme, la dignité même de la personne humaine sont constamment bafoués au nom de je ne sais quel réalisme politique, ce n’est pas sans émotion que l’on peut évoquer l’image pure de cet adolescent venu spontanément, sans arrière-pensée, de la bourgeoisie vers le peuple, pour travailler avec lui à sa libération avec tout l’élan de son cœur et toute la force de son patriotisme.

Je comprends, Messieurs, que vous soyez fiers de Marceau, c’est une des figures les plus belles et les plus attachantes de la Révolution française !

Quant à moi, arrière-petit-fils d’un soldat de la Révolution, petit-fils d’un homme qui a connu les prisons du second Empire pour avoir osé proclamer son attachement à la République, ce n’est pas du bout des lèvres que j’apporte ici mon tribut d’hommage à votre grand Marceau. Et si vous me permettez de joindre à cet hommage un souhait ardent, je voudrais, alors que continuent à s’amasser à l’horizon des nuages chargés de menaces, que le souvenir, que l’exemple d’un homme comme Marceau nous incite à forger à la France à nouveau cette âme forte et généreuse qui était sienne au temps où ces admirables volontaires d’Eure-et-Loir couraient à la frontière pour combattre et mourir pour la liberté… »

 

PASSAGES DU DISCOURS

PRONONCE A LA PREMIERE

SESSION ORDINAIRE

POUR 1939

DU CONSEIL GENERAL

D’EURE-ET-LOIR (8 mai 1939)

 

« … Il est des heures où servir son pays, à quelque poste que ce soit, a un tel caractère d’impérieuse obligation que c’est tout naturellement et avec enthousiasme que les hommes de bonne volonté trouvent les forces nécessaires à l’accomplissement de leur tâche…

Monsieur le Président, je vous remercie d’avoir souligné mon souci très vif d’impartialité ; je n’ai jamais caché mes sentiments politiques. Et, si j’entends servir sans faiblesse un idéal qui m’est infiniment cher, je puis vous donner l’assurance que mon administration s’efforcera, en toute occasion, de demeurer équitable et éloignée de tout sectarisme. Si elle devait un jour fléchir la rigueur de ses règlements, je voudrais que ce fût uniquement en faveur de ceux qui peinent et de ceux qui souffrent.

Messieurs, au moment où le peuple de France donne un si bel exemple de labeur et de dignité nationale, au moment où, avec tant de calme et de résolution, des hommes ont quitté leurs foyers pour se mettre au service de la Patrie, je pense que ces sentiments doivent s’affirmer avec plus de force encore. C’est pourquoi, en terminant, je voudrais, comme vous, Monsieur le Président, faire appel à l’union de tous pour donner à ceux qui ont la lourde charge des destinées du pays la force et la foi nécessaires pour veiller avec fermeté à la sauvegarde, non seulement de l’intégrité de notre territoire, mais encore de notre patrimoine d’honneur et de liberté. »

 

UN PREFET

QUI VEUT SE BATTRE

 

Jean Moulin, à plusieurs reprises, écrivit au ministre de l’Intérieur pour lui exprimer son désir, en cas de mobilisation générale, de suivre le sort de sa classe.

 

Voici une lettre du 30 mars 1939 :

 

Monsieur le Président,

 

En réponse à votre dépêche du 28 mars relative à ma situation militaire, j’ai l’honneur de vous faire connaître que je maintiens le désir que je vous avais précédemment exprimé de suivre, en cas de mobilisation générale, le sort de ma classe.

Je me permets de vous signaler le réel intérêt qu’il y aurait à prévoir dès maintenant le remplacement des préfets mobilisables et à faire une obligation aux successeurs éventuels de venir, à périodes fixes, se mettre au courant des affaires, et notamment des plans de mobilisation des départements qu’ils auraient à administrer. C’est là une pratique qui a été instaurée dans de nombreux services importants et qui est appelée, à mon avis, à donner les meilleurs résultats.

 

Jean MOULIN.

 

Il n’obtient pas satisfaction.

Le 24 septembre 1939, il adresse une demande au ministère de l’Air pour être admis comme élève mitrailleur à l’une des écoles en formation, en vue de son affectation ultérieure à une unité du front, bien qu’il ait dépassé de dix ans la limite d’âge.

Mais M. Sarraut fait maintenir le préfet à son poste deux mois encore.

Le 15 novembre 1939, il revient à la charge auprès du ministre de l’Intérieur :

 

Monsieur le Président,

 

Je prends la liberté de renouveler auprès de vous les demandes que j’ai eu l’honneur de formuler et notamment les 14 septembre 1938, 1er décembre 1938 et 30 mars 1939, tendant à me permettre de suivre le sort de ma classe.

Célibataire, appartenant à la plus jeune classe de la deuxième réserve, je continue à penser que ma place n’est point à l’arrière, à la tête d’un département essentiellement rural où la mobilisation a fait des vides profonds et où le préfet est dans l’obligation de faire appel, à tout instant, au patriotisme et à l’esprit de sacrifice des populations.

C’est pourquoi je me permets d’insister respectueusement pour que je sois autorisé à rejoindre mon corps le 12 décembre prochain et pour que, par voie de conséquence, toutes dispositions soient prises pour désigner, dès à présent, mon successeur éventuel intérimaire.

Je crois devoir vous rappeler à ce sujet que M. Caillet, ancien combattant, préfet détaché, actuellement sans affectation, pourrait très avantageusement être nommé au poste de Chartres qu’il a occupé, à la satisfaction générale, pendant quatre années.

Ayant le ferme espoir que vous ne serez point insensible à ma requête, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à mon respectueux dévouement.

 

Jean MOULIN.

 

A force de démarches auprès du ministère de l’Air, sa candidature en qualité d’élève-mitrailleur est retenue. Le 12 décembre, Jean Moulin rejoint son corps et en informe M. Sarraut.

Le ministre de l’Intérieur riposte et obtient alors de son collègue de l’Air que le sergent de réserve Moulin Jean, bataillon de l’air 117, soit classé en affectation spéciale pour une durée indéterminée en qualité de préfet d’Eure-et-Loir.

La décision est en date du 21 décembre.

Le 24, Jean Moulin va protester auprès du ministre de l’Intérieur. Voici, notés par lui, les résultats de l’entrevue :

 

« M. Sarraut me reçoit très aimablement, me dit comprendre les raisons qui m’incitent à demander à faire mon devoir militaire, et me promet d’examiner mon désir avec bienveillance.

Le 26 décembre, au matin, je vais voir M. Berthoin, secrétaire général du ministre et directeur du personnel, pour connaître la décision définitive du ministre.

Elle est irrévocable. Je dois me faire démobiliser d’urgence et rejoindre sans délai mon poste à Chartres. »

 

Forcé de rester à la Préfecture, Jean Moulin exalte le patriotisme de la population et veille à sa sécurité. Il fait imprimer une brochure intitulée : « Que faire en cas d’attaques aériennes » où, sous une forme claire et simple, sont données les instructions nécessaires.

Le 11 juin, six jours avant l’entrée des Allemands dans le département, il fait placarder l’affiche suivante :

 

HABITANTS D’EURE-ET-LOIR

 

Vos fils résistent victorieusement à la ruée allemande. Soyez dignes d’eux en restant calmes. Aucun ordre d’évacuation du département n’a été donné parce que rien ne le justifie.

N’écoutez pas les paniquards qui seront d’ailleurs châtiés. Déjà des sanctions ont été prises. D’autres suivront.

Il faut que chacun soit à son poste. Il faut que la vie économique continue.

Les élus et les fonctionnaires se doivent de donner l’exemple. Aucune défaillance ne saurait être tolérée.

Je connais les qualités de sagesse et de patriotisme des populations de ce département.

J’ai confiance. Nous vaincrons.

 

Le Préfet d’Eure-et-Loir,

Jean MOULIN.

 

LETTRE DE JEAN MOULIN

A SA MERE ET A SA SŒUR

 

15 juin 1940.

 

Bien chère maman,

Bien chère Laure,

 

Je vous ai peu donné de mes nouvelles ces derniers jours. La faute en est aux événements tragiques que j’ai vécus. J’ai vu bien des misères humaines. Mon réconfort a été de voir bien des dévouements obscurs, des dévouements que tout le monde ignorera toujours, hormis quelques spectateurs.

Mon pauvre département est mutilé et saignant de toute part. Rien n’a été épargné à la population civile.

Quand vous recevrez cette lettre, j’aurai sans doute rempli mon dernier devoir. Sur ordre du gouvernement, j’aurai reçu les Allemands au chef-lieu de mon département et je serai prisonnier.

Je suis sûr que notre victoire prochaine – grâce à un sursaut d’indignation du reste du monde et à l’héroïsme de nos soldats (qui valent mieux souvent que l’usage qu’on en fait) – viendra me délivrer.

Je ne savais pas que c’était si simple de faire son devoir quand on est en danger.

Je suis en bonne santé, malgré les fatigues de ces derniers jours.

Je pense à vous de tout mon cœur.

 

Jean.

 

P.S. – Si les Allemands – ils sont capables de tout – me faisaient dire des choses contraires à l’honneur, vous savez déjà que cela n’est pas vrai.

 

APRES LE DRAME

RESISTANCE AUX ALLEMANDS

 

Jean Moulin défendit énergiquement la population contre les exactions, les vols, les violences de l’armée d’occupation, protestant chaque fois auprès de la Kommandantur.

 

Chartres, le 14 juillet 1940.

 

J’ai l’honneur d’élever une vive protestation contre les méthodes adoptées par certaines autorités allemandes à l’égard du premier magistrat du département que je suis.

Sans me consulter, la Kommandantur de Laigle, chargée du service des prisonniers de guerre français, a cru devoir rédiger et faire suivre de la mention : « le Préfet » une affiche dont je ne puis accepter certains termes.

Il est indiqué notamment, dans cette affiche, qu’au cas de manquement de la part des prisonniers, leurs familles seraient tenues pour responsables.

Cette clause est absolument contraire à toutes les lois de la guerre et aux règles élémentaires de l’humanité.

Mais ce qu’il y a de plus inadmissible, c’est de mettre pareille menace au compte du représentant du Gouvernement français, alors que ce dernier n’a été appelé à aucun moment à donner son avis et qu’il n’a connu le texte de l’affiche que lorsque celui-ci a été définitivement arrêté et diffusé par les autorités allemandes.

 

Le Préfet.

 

Cette protestation est suivie d’effet. Le Feld-Kommandant lui répond : « Vous avez tout à fait raison quand vous blâmez cet incident, il est regrettable au plus haut point » et il envoie un désaveu à la Feld-Kommandantur de Laigle.

 

Les vols et les exactions continuant, le préfet proteste encore le 27 juillet auprès du Feld-kommandant :

 

J’ai le vif regret de vous adresser à nouveau une série de réclamations et de demandes d’indemnités relatives à des confiscations de récoltes, d’animaux de ferme, de véhicules, etc., par l’armée allemande, en dehors de tout paiement et de toute réquisition régulière.

Ainsi que vous pourrez le constater par la lecture de certaines de ces lettres, en aucun cas les officiers n’ont consenti à donner ni leur nom, ni le numéro de leur régiment.

Ces faits ne sont pas de nature, malheureusement, à rassurer les populations paysannes à la veille des durs travaux qu’il est nécessaire qu’elles accomplissent.

 

Le 10 août 1940, nouvelle protestation :

 

Le Préfet d’Eure-et-Loir

à Monsieur le Colonel

commandant la Feld-Kommandantur 751

à Chartres.

 

J’ai l’honneur de vous transmettre sous ce pli une lettre de M. le Maire de Dreux sur laquelle je crois devoir appeler tout spécialement votre attention.

La situation signalée, dont il est inutile de souligner la gravité, n’est pas spéciale à Dreux. Depuis une huitaine de jours, tous les maires de communes importantes sont harcelés de demandes de matériel excédant nettement le cadre des « frais d’occupation ».

C’est ainsi que plusieurs dizaines de postes de T.S.F., de frigidaires, d’armoires, de glaces, de vases à fleurs et jusqu’à des cadres de photos et des tapis de plusieurs milliers de francs sont demandés journellement sous menace des sanctions les plus sévères, notamment à Bouglainval, à Maintenon, Luisant, Châteaudun, Nogent-le-Roi et Dreux. A Dreux, ce sont même des officiers en stationnement dans un autre département qui exigent des livraisons d’objets mobiliers de très grande valeur.

Il m’a paru indispensable de vous signaler ces faits en vous priant de bien vouloir y porter remède.

 

Le Préfet.

 

A la suite d’une expulsion particulièrement odieuse, le Préfet intervient avec son courage habituel. (17 septembre 1940.)

 

Le Préfet d’Eure-et-Loir

à Monsieur le Chef

de la Feld-Kommandantur 751 à Chartres.

 

J’ai eu, à maintes reprises, l’occasion de vous signaler les procédés inhumains employés par certaines troupes d’occupation à l’égard d’habitants expulsés purement et simplement de leur logement, sans considération d’âge ni de sexe.

Je viens d’être informé encore qu’à Meslay-le-Vidame, le 1er septembre, un sous-officier s’est présenté chez une dame veuve, de soixante-douze ans, qui a perdu deux fils lors de la guerre 1914-1918, et l’a expulsée de chez elle en un quart d’heure.

Les faits de cet ordre, qui ont été très nombreux depuis une vingtaine de jours, ont créé beaucoup d’émotion dans la population du département.

 

Le Préfet.

 

Le même jour, autre protestation au sujet de prêts forcés :

 

Le Préfet d’Eure-et-Loir

à Monsieur le Chef

de la Feld-Kommandantur 751.

 

Le droit de réquisition ayant été supprimé, en principe, pour les troupes de passage, ainsi que vous avez bien voulu me le dire récemment, celles-ci emploient depuis un mois environ un autre procédé : celui du prêt.

Elles mettent en demeure les habitants, par l’intermédiaire des maires, d’avoir à leur prêter, pour la durée de leur séjour dans la commune, un certain nombre d’objets mobiliers.

Les populations ont en général répondu avec diligence à ces ordres, persuadées, comme on leur en donnait l’assurance, que ces objets leur seraient restitués au moment du départ des troupes.

Or, à tout instant, les formations militaires stationnées provisoirement dans le département, quittent le pays en emportant les objets « empruntés ».

A Voves, notamment, l’unité portant le numéro 15836 E est partie le 7 septembre en emportant huit postes de radio qui leur avaient été prêtés.

Je vous serais obligé de bien vouloir veiller à ce que des faits semblables ne se renouvellent plus et prendre toutes dispositions pour indemniser les propriétaires.

 

Le Préfet.

 

TEMOIGNAGES

 

TEMOIGNAGE DU CHEF

D’ESCADRONS DE TORQUAT,

COMMANDANT LE

1er BATAILLON

DU 7e DRAGONS

(4e DIVISION CUIRASSEE),

SUR LE PREFET DE

CHARTRES : JEAN MOULIN.

 

Dans la nuit du 12 au 13 juin 1940, la 4e D.C.R., couvrant la gauche de l’armée de Paris qui, menacée d’encerclement, abandonne la défense de la capitale, se replie en direction du Sud.

Le 1er bataillon du 7e Régiment de Dragons Portés, que j’ai l’honneur de commander, après avoir passé quelques heures à Gambais en halte gardée, reçoit l’ordre de se porter à Chartres et de prendre position sur la rive Est de l’Eure pour tenir les ponts donnant accès aux routes venant de l’Ouest.

Les positions sont occupées dans l’après-midi du 13 juin, pendant un bombardement du terrain d’aviation par l’aviation ennemie. Mon P.C. est à Nogent-le-Phaye.

Le 15 juin, à 3 heures, je reçois l’ordre de modifier l’orientation de la défense de Chartres et de porter mes unités à l’Ouest de la ville pour en tenir les débouchés face aux directions du Nord-Ouest, du Nord et de l’Ouest.

Dès le lever du jour, j’établis mon P.C. à Chartres même, dans un vaste hôtel particulier ouvert à tous les vents, situé sur le boulevard extérieur Sud.

La ville est totalement abandonnée par les autorités locales : il n’y a plus ni municipalité, ni agents de ville, ni sapeurs-pompiers… Sur le boulevard, un camion de la police de Paris est abandonné, contenant des centaines de fusils. De nombreux réfugiés errent dans la ville, pillant les magasins d’alimentation pour se ravitailler, ou défilent sur le boulevard à pied, en voitures ou en automobiles. Beaucoup me demandent de l’aide, comme si j’étais chargé de diriger l’évacuation du pays !… Je fais réparer quelques voitures par mes dépanneurs…

Au cours de l’après-midi, nous sommes bombardés par l’aviation ennemie. Il y a des victimes civiles que mon médecin de bataillon (Docteur Erbéia) va immédiatement secourir.

On me signale la présence d’engins blindés ennemis à Ablis.

Le 16 juin, le flot des réfugiés continue à déferler à travers la ville. J’essaie d’ordonner un peu cette cohue et de venir en aide aux plus éprouvés. Je dois intervenir à plusieurs reprises pour obliger des paysans à charger des piétons harassés sur leurs voitures.

Dans la matinée, le préfet d’Eure-et-Loir, M. Jean Moulin, vient me voir. Il est en uniforme et circule à bicyclette, ce qui ne manque pas de pittoresque. Je lui exprime mon étonnement de voir la ville désertée par tous ceux qui ont la responsabilité de la protéger.

« Vous êtes, Monsieur le Préfet, la première personne officielle de la ville que j’aperçoive !

— En effet, tous les fonctionnaires sont partis ; mon personnel lui-même m’a abandonné. Bien mieux, on m’a volé ma propre voiture dans mon garage ! Alors, vous voyez, j’en suis réduit à circuler à bicyclette ! »

Jean Moulin m’expose alors ce qu’il a entrepris de faire pour ravitailler les quelque cinq à six mille personnes (habitants et réfugiés) qui sont encore là et qui souffrent de la faim. Il a pu trouver de la farine et remis des boulangeries en marche avec l’aide de quelques ouvriers boulangers. Comme il me demande de lui procurer des hommes qualifiés, je fais mettre immédiatement à sa disposition deux cavaliers de mon bataillon, boulangers de métier.

Je sympathise tout de suite avec ce fonctionnaire jeune, actif et courageux, et qui sait faire face à ses responsabilités.

« Et vous-même, Monsieur le Préfet, comment faites-vous pour vos repas ?

— Oh ! je me débrouille… Mais je vous avoue que je n’ai rien pris de chaud depuis quarante-huit heures et cela me manque vraiment… »

Mon cuisinier, aussitôt alerté, apporte un café bien chaud. Mais je tiens surtout à inviter Jean Moulin, tant que nous serons ici, à partager nos repas.

Il accepte avec empressement et nous le voyons revenir à notre popote vers midi et demie, s’excusant de son retard1.

Déjeuner très cordial. Je ne manque pas, en présence de mes officiers, de féliciter chaudement le jeune préfet de sa courageuse attitude, qui contraste tant avec celle des autres notabilités. Au dessert, je le nomme brigadier d’honneur de mon bataillon.

« Et moi, me dit-il, je vous ferai nommer citoyen d’honneur de Chartres. »

A 13 heures, des officiers et des hommes du 4e Zouaves, qui se replient, prétendent que l’ennemi serait aux portes de la ville, ayant atteint la ligne Oisème-Nogent-le-Phaye. Je fais redoubler la surveillance et interrompre la sortie des civils vers l’extérieur de la ville.

Vers 15 heures, Jean Moulin vient me revoir. Il a troqué cette fois son uniforme de préfet contre une tenue « défense passive » : imperméable bleu-marine et casque de la même couleur.

Comme je m’étonne de ce déguisement :

« Ne m’en parlez pas ! me répond en riant Jean Moulin. Figurez-vous que j’ai failli être écharpé par tous mes affamés qui me rendent responsable de la carence du ravitaillement ! Aussi ai-je troqué mon uniforme contre cette tenue qui me permet de passer plus inaperçu… »

Dans la soirée, nous apprenons que des colonnes ennemies ont largement débordé Chartres et menacent Orléans. A 18 h 30, je reçois du général de la Font, qui a pris le commandement de la division, le 7 juin, au départ du général de Gaulle, un ordre préparatoire de repli.

Nous nous mettons à table pour un dîner sommaire pris « sur le pouce », notre camionnette de ravitaillement avec le cuisinier ayant été repliée vers l’arrière, car le danger d’encerclement augmente à toute heure.

Jean Moulin est venu partager avec nous ce dernier repas.

« Et vous-même, qu’allez-vous faire ? lui dis-je en lui annonçant le prochain repli du bataillon.

— J’attendrai l’arrivée des Allemands à Chartres, comme c’est mon devoir.

— Je vous félicite, Monsieur le Préfet.

— Au revoir, mon Commandant, et merci de tout ce que vous avez fait pour moi. Je ne l’oublierai pas. »

Nous quittons Chartres un peu avant minuit sans que l’ennemi ait osé se heurter à nos barrages, laissant nos postes occupés jusqu’à 2 heures du matin par l’escadron motocycliste qui assure la couverture de notre repli et qui se décrochera lui-même à l’heure prescrite sous un feu violent d’artillerie et de mortiers.

Je n’ai jamais revu Jean Moulin.

Aussitôt après l’Armistice, j’ai tenu à rendre compte officiellement par la voie hiérarchique de mon régiment de la conduite particulièrement brillante de ce préfet.

Plus tard, ayant à rédiger l’historique du 7e Dragons2, j’ai tenu à y insérer la phrase suivante (page 40, journée du 15 juin) :

« Seul fonctionnaire demeuré dans la ville, M. Jean Moulin, préfet d’Eure-et-Loir, vient se mettre en liaison avec le chef d’escadrons commandant le 1er bataillon et, d’accord avec lui, organise le ravitaillement des habitants – quelques cavaliers exerçant la profession de boulanger sont mis momentanément à sa disposition – et s’efforce de mettre de l’ordre, faisant preuve de beaucoup de courage et d’un bel esprit de devoir. »

 

TORQUAT.

 

1.  J’ai appris dès le lendemain les raisons de ce retard : un de mes hommes avait aperçu le Préfet accompagnant lui-même un aveugle qui avait demandé qu’on le conduise jusqu’à la sortie de la ville.

2.  Publié en 1942 chez Charles Lavauzelle.

 

RESISTANCE AUX ALLEMANDS

DEFENSE DE LA POPULATION

 

Voici deux exemples, entre autres, que je tiens de la bouche de mon frère :

 

1º Avec l’aide des agents de la S.N.C.F., le Préfet put soustraire à la rapacité allemande des trains entiers de denrées alimentaires en panne dans des voies de garage : sucre, cacao, farine, etc., furent ainsi répartis entre les hôpitaux et les internats scolaires ;

2º La question du combustible est un exemple typique des façons d’agir allemandes et de la vigilance du Préfet. Les Allemands négligeaient totalement l’approvisionnement en charbon de la population d’Eure-et-Loir. Ce voyant, le Préfet prit les dispositions nécessaires, d’accord avec les exploitants forestiers et les marchands de bois, pour assurer le chauffage des établissements hospitaliers et scolaires et de la population tout entière. Des coupes furent entreprises. Mais, dès que le bois était empilé sur le bord de la route pour y être ramassé, des vedettes motocyclistes ennemies le signalaient et immédiatement des camions militaires allaient le charger. Les maires se plaignaient aux occupants de la pénurie de combustible ; ceux-ci répondaient en accusant l’Administration Française d’incurie et le Préfet de négligence. Afin de mettre les choses au point, Jean Moulin réunit les maires de l’arrondissement de Chartres en présence du Feld-Kommandant, forçant celui-ci à reconnaître devant eux le pillage systématique de l’armée allemande.

L’arrivée des soldats et l’occupation s’accompagnaient toujours d’exactions, de réquisitions sans bons, d’expulsions, de vols d’animaux, d’automobiles, de postes de T.S.F., de frigidaires, etc., ainsi que de pillage et, à l’occasion, de sévices, de viols et de meurtres, tel celui mentionné plus haut dans le Journal.

Dès qu’il était informé de ces abus de pouvoir ou de ces atrocités, le Préfet adressait des protestations énergiques, par écrit, au Feld-Kommandant. Voici l’un des cas les plus graves. Je reproduis textuellement la plainte adressée au Préfet, me bornant à supprimer les noms de personnes et de lieu :

 

6 juillet 1940.

 

Monsieur..................., habitant..................., commune de.............................. déclare les faits suivants :

 

Dans la nuit du 5 au 6 juillet, à 0 h 30 (heure allemande), des coups ont été frappés à sa porte par deux soldats allemands qui ont déclaré : « Patrouille, patrouille ! » Monsieur................. a ouvert sa porte. A ce moment, les deux soldats sont entrés et ont pénétré dans la chambre où ses deux filles, âgées respectivement de seize ans et demi et quatorze ans et demi, étaient couchées. Ils les ont mises nues et les ont prises de force. Ces deux enfants poussaient des cris que leurs père et mère ont entendus, mais ils ont été impuissants à leur porter secours, étant eux-mêmes menacés avec les deux revolvers dont étaient porteurs ces soldats. Ils ont quitté la chambre à 3 h 15, ce matin.

 

Signé.................................

 

De l’enquête à laquelle le maire de......... s’est livré, il résulte que les faits relatés ci-dessus sont exacts et, qu’en outre, probablement les deux mêmes individus se sont livrés aux mêmes actes chez Madame................ et qu’il y a eu tentative du même genre chez Madame..........................., fermière au.......................

 

Le Maire de......................

(Signature du maire.)

 

Enfin voici une lettre de M. Pierre Lefebvre, maire de Boissy-lès-Perche et conseiller général, au Préfet, à la suite d’une intervention en sa faveur. Elle démasque la mauvaise foi allemande :

 

Le 13 novembre 1940.

 

Monsieur le Préfet,

 

Il me paraît utile, ne fût-ce qu’à titre documentaire, de vous faire connaître quelle suite a été donnée à la réclamation que je vous avais adressée le 18 octobre, avec prière de vouloir bien la porter à la connaissance de la Feld-Kommandantur, au sujet d’incidents regrettables imputables aux soldats allemands dans ma propre maison.

Avec la même bonne foi que moi, vous avez pensé que ces incidents étaient fâcheux, et qu’il suffirait d’en informer loyalement et sans passion les hautes autorités allemandes pour obtenir l’assurance qu’ils seraient sans lendemain.

Je vous remercie, à cette occasion, d’avoir bien voulu agir comme vous l’avez fait.

D’ailleurs, l’officier commandant l’unité installée dans mon habitation, à son retour de permission, m’exprimait spontanément ses regrets, ajoutant ces mots : « Quand le chat est parti, les souris dansent ! »

Or, mardi dernier, 5 novembre, arrivait à mon domicile un policier allemand, dépendant de la Feldgendarmerie en résidence à Dreux.

Après un interrogatoire rapide des quelques éléments subalternes du personnel militaire présent, sans prise de contact avec l’officier, il procéda successivement à l’interrogatoire de mon personnel et de mes enfants, y compris ma fillette de six ans. Il me convoqua ensuite, reprit la lecture en allemand du texte de la lettre que je vous avais adressée – traduction beaucoup trop littérale, d’où disparaissaient les nuances du texte français – et, phrase par phrase, s’appliqua à démontrer que mon exposé fourmillait d’erreurs : dans le Pferdelazaret, il n’y a pas d’officiers, mais des docteurs vétérinaires ; les mots « armée d’occupation » ont un sens péjoratif ; les Français ne doivent connaître que les soldats allemands ; parler avec plusieurs camarades dans une chambre suffit pour qu’il y ait bruit, sans qu’il y ait lieu de s’en plaindre ; les Allemands – qui ne ressemblent pas aux Français – ne « boivent » pas ; l’homme tombé dans l’escalier avait de grosses bottes avec des clous, il est excusable d’avoir glissé sur les marches ; comment s’étonner que cette chute ait réveillé les enfants ; enfin, un sous-officier a été détaché un soir dans mon habitation, il n’en connaissait pas les appartements ; il a eu beaucoup de peine à trouver sa chambre, ce qui explique qu’il ait essayé d’ouvrir plusieurs portes, même les placards d’un cabinet de toilette !

Il termina en disant que mes affirmations étaient inexactes, que j’avais manqué de respect à l’égard de l’armée allemande ; qu’au surplus je n’avais le droit ni de vous mettre au courant de tels faits – seule la Kriegskommandantur devant en connaître – ni, même, en tant que maire, de demander des sanctions à l’encontre des soldats allemands.

Il me parut toutefois conclure dans le sens de la conciliation, en disant : « Laissons donc tout cela ; d’ailleurs la paix n’est plus qu’une affaire de quelques jours. »

Quelle ne fut pas ma surprise, samedi soir, rentrant d’une absence de trente-six heures à Paris, d’apprendre que ce même policier était revenu à mon domicile dans la matinée, fort mécontent de ne pas me trouver, et spécifiant que j’avais été condamné à vingt jours de prison, rachetables par 5 000 francs d’amende, à remettre moi-même entre les mains de la Feldgendarmerie, le lendemain dimanche à Dreux, avant onze heures, faute de quoi on viendrait me chercher à midi pour être incarcéré.

Motif de la condamnation : a adressé un rapport contraire à la vérité portant atteinte à la dignité de l’armée allemande.

Aucune procédure de jugement ; aucune signification d’un texte de jugement ; aucune enquête impartiale, aucun moyen de défense accordé.

J’ai versé avec amertume les 5 000 francs, dimanche matin, convaincu que j’étais, dès maintenant, fort mal noté personnellement, et que j’aurais sans doute d’autres vexations à subir.

Notre pauvre pays n’est pas au bout de ses épreuves. Tout cela, bien entendu, n’est, cette fois, que pour vous seul.

Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, etc.

 

Signé : Pierre LEFEBVRE.

 

Note manuscrite de Jean Moulin, au bas de cette lettre :

 

M. Lefebvre s’était plaint à moi de l’attitude des Allemands qui occupaient son château : déprédations, bruit, ivresse, tentative de viol de sa femme de chambre, etc.

M. Lefebvre, catholique fervent, père de dix enfants, s’était vu interdire l’accès de sa chapelle (où il allait fréquemment se retirer pour prier). Les Allemands fermèrent la chapelle et conservèrent la clé.

C’est à la suite de mes protestations que les Allemands lui infligèrent la condamnation indiquée dans cette lettre.

 

Auparavant, certaines interventions du préfet avaient eu, au contraire, un heureux effet. Mais un fait nouveau s’était produit. Le Feld-Kommandant du début, baron Fr. von Gultlingen, vieux hobereau à la prussienne, combattant de la grande guerre et admirateur de Guillaume II, lequel s’était parfois montré accessible à la raison, avait été mis subitement à la retraite, sans doute pour tiédeur envers le nazisme, et remplacé fin septembre par un officier plus orthodoxe, le major Ebmeier, avec qui les rapports allaient être plus tendus. C’est sans doute à l’action de ce dernier que Jean Moulin dut d’être suspendu de ses fonctions en novembre 1940.

 

LA DISGRACE

 

Le 11 novembre 1940 arrive à Chartres la lettre de l’Intérieur enjoignant au préfet d’avoir à cesser ses fonctions. La voici :

 

Paris, le 8 novembre 1940.

 

Délégation générale

du Gouvernement français

dans les

territoires occupés.

____

 

Le Préfet délégué

du Ministère de l’Intérieur.

____

 

4. 543

 

Monsieur le Préfet,

 

J’ai l’honneur de vous informer que, par décret de M. le Ministre secrétaire d’Etat à l’Intérieur, en date du 2 novembre 1940, inséré au Journal officiel du 3 novembre, vous êtes placé dans la position prévue par l’article 1er de la loi du 17 juillet 1940.

L’installation de votre successeur, Monsieur Donati, a été fixée au 16 novembre 1940.

Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l’assurance de ma haute considération.

 

Le Préfet

délégué du Ministère de l’Intérieur.

Signé : Illisible.

 

Dès que la nouvelle de cette mise en disponibilité fut connue, soit plusieurs jours avant sa notification officielle (c’est par les Allemands que Jean Moulin l’apprit), un flot de visites et de lettres vint exprimer au Préfet l’indignation de Chartres et du département et le regret unanime que causait son départ.

La presse locale traduisit les sentiments de tous en faisant courageusement son éloge.

 

Article paru dans La Dépêche d’Eure-et-Loir, le jeudi 7 novembre 1940 :

 

LE MOUVEMENT PREFECTORAL

M. JEAN MOULIN

 

Le mouvement préfectoral qui vient d’être promulgué concerne l’Eure-et-Loir. M. Jean Moulin, préfet de notre département depuis février 1939 (et auparavant préfet de l’Aveyron) se trouvant placé sous le régime de la loi du 17 juillet 1940.

M. Jean Moulin, qui totalise à l’heure actuelle vingt-trois ans de carrière dans l’administration préfectorale, fut le plus jeune sous-préfet et le plus jeune préfet de France.

Pendant son séjour en Eure-et-Loir, il affirma, en toutes circonstances, une vive et compréhensive intelligence ainsi que la constante volonté, jointe à un esprit d’équité absolue, de rendre service à la population.

Il eut la lourde charge d’exercer ses fonctions pendant la guerre. Resté à son poste – il ne le quitta pas un instant – au moment de l’évacuation qu’il essaya d’enrayer, il fit preuve d’un dévouement, auquel chacun se plaît à rendre hommage, pour sauvegarder les intérêts des habitants et pour assurer le ravitaillement de ceux qui étaient restés.

C’est ainsi qu’il put faire venir de Blois, pour Chartres et Châteaudun, huit cents kilos de pain qui permirent d’assurer l’alimentation pendant les premiers jours, en l’absence des boulangers ; qu’il constitua, à la Préfecture, un stock de vivres qui furent par la suite distribués au Bureau de Bienfaisance, et qu’il aida lui-même, de façon active, en partageant leurs travaux, les personnes chargées du transport et de la distribution du pain.

Il convient de rappeler cette belle conduite alors que M. Jean Moulin se prépare à quitter la Préfecture.

Nous lui adressons, avec tous nos vœux, nos sentiments de respectueuse sympathie.

 

Article paru dans La Vérité d’Eure-et-Loir (journal de l’Evêché) le 9 novembre 1940 :

 

A LA PREFECTURE

M. JEAN MOULIN

 

M. Jean Moulin, préfet d’Eure-et-Loir, va nous quitter, d’après le régime institué par la loi du 17 juillet 1940.

M. Moulin laissera en Eure-et-Loir, dont il était préfet depuis 1939, de vifs regrets, le souvenir d’un administrateur compréhensif et énergique, droit et très serviable, et aussi courageux. Ce courage, il le montra dans les journées tragiques de juin.

La Vérité d’Eure-et-Loir prie respectueusement M. Jean Moulin de vouloir bien agréer l’expression de ses très sincères et profondes sympathies.

 

Extraits de l’article paru dans Le Patriote de Châteaudun (début novembre 1940) :

 

LE MOUVEMENT PREFECTORAL

M. JEAN MOULIN

 

« Surprise et émotion » telle est la moindre réaction des populations du département devant la mesure qui frappe M. Jean Moulin, préfet d’Eure-et-Loir depuis février 1939…

Aux connaissances étendues, à la compréhension large, à l’intelligence vive, il compte parmi les hauts fonctionnaires qui, par leur droiture, leur courage et leur patriotisme clairvoyant, ont fidèlement « servi » la France, et ont su lui conserver, dans la cruelle épreuve qu’elle a subie, un visage empreint de dignité.

Toutes ces qualités l’ont, à juste titre, fait aimer des populations beauceronnes et percheronnes, auxquelles il manifesta un constant dévouement et une bienveillante, autant qu’amicale, compréhension.

Son attitude, lors de l’évacuation en masse des populations civiles – qu’il tenta d’enrayer – et dans les sombres journées qui suivirent, lui a valu la reconnaissance et l’admiration de la population d’Eure-et-Loir tout entière.

Au moment où M. Jean Moulin doit quitter la Préfecture, il était nécessaire, croyons-nous, de rappeler cette belle attitude, dont l’évocation ne fait que plus regretter une décision que l’équité et le simple bon sens se refusent à admettre.

C’est un très grand administrateur qui s’en va, avec l’unanime regret de tous, même – nous en sommes certains – des autorités occupantes, qui ont pu apprécier en lui un citoyen qui aime son pays et un excellent organisateur.

 

HOMMAGE DU CONSEIL GENERAL

 

Un déjeuner d’adieux est organisé à Châteauneuf, le 15 novembre 1940. M. Billault, président de la Commission départementale, prononce les paroles suivantes :

 

Monsieur le Préfet,

 

A notre réunion de la Commission départementale, samedi dernier, je me suis fait l’interprète de mes collègues pour vous dire les regrets que nous cause votre départ.

Aujourd’hui où les membres du Conseil général se trouvent réunis « probablement pour la dernière fois », à l’occasion de ce déjeuner, vous me permettrez de vous exprimer à nouveau nos bien vifs et bien sincères regrets de vous voir quitter notre département.

Depuis le 21 février 1939, date à laquelle vous avez pris possession de votre poste en Eure-et-Loir, vous avez su, comme représentant du Gouvernement, faire apprécier vos qualités et votre mérite, vous avez su vous faire aimer des laborieuses populations de ce département qui, vous le savez, n’accordent qu’à bon escient leur confiance et leurs sympathies à ceux capables de les mériter.

Permettez-moi de vous dire que ces populations vous considèrent comme un fonctionnaire émérite, cordial et accueillant, aux connaissances étendues, doué d’une vive intelligence, d’une droiture et d’une loyauté parfaites, animé d’un patriotisme clairvoyant.

Nous connaissons tous le courage et la dignité dont vous avez fait preuve dans les sombres et tristes journées de juin, au moment des évacuations en masse, ainsi que l’attitude énergique que vous avez toujours observée en face des autorités occupantes, et ce, dans l’intérêt de ce département.

Cela, mon Cher Préfet, nous ne l’oublierons jamais !

Croyez bien que la mesure qui vous frappe ne nous laisse pas indifférents – c’est avec un sentiment de tristesse que nous l’avons accueillie – mais nous avons le ferme espoir que… le jour viendra où nous aurons la joie et le plaisir de vous voir reprendre votre noble tâche, dans un poste comme celui que vous quittez aujourd’hui.

C’est notre vœu le plus cher, et vous pouvez être assuré, mon Cher Préfet, que dans les heures difficiles que nous aurons à traverser, nous nous inspirerons de votre exemple, en conservant de vous un bien cordial et chaleureux souvenir.

 

Au cours de cette cérémonie, les conseillers généraux offrent à Jean Moulin un bel exemplaire de Jean-Christophe, de R. Rolland.

Sur la page de garde, ils inscrivent ces lignes, suivies de leur signature :

 

« En reconnaissance des services rendus et en hommage pour sa fière attitude devant l’ennemi, les conseillers généraux d’Eure-et-Loir à Jean Moulin, leur grand Préfet, leur ami. »

 

15 novembre 1940.

 

HOMMAGE

DES EMPLOYES DE LA PREFECTURE

ET DES SOUS-PREFECTURES

 

C’est par la voix de M. Decote, le fidèle chef de cabinet du préfet, que les employés expriment leur gratitude et leurs regrets à leur patron.

 

Monsieur le Préfet,

 

Le 15 juin 1940, à 5 h 30, bien à contrecœur, je vous ai laissé, seul, dans la cour de la Préfecture. La ville était déserte, des immeubles brûlaient encore.

Durant plusieurs jours et autant de nuits, vous avez alimenté les Chartrains qui n’étaient pas partis et les nombreux passagers en leur distribuant les vivres que vous aviez fait entreposer à la Préfecture pour les malheureux réfugiés qui ne cessaient de passer en gare de Chartres depuis le 10 mai. En bras de chemise, vous avez transporté ces vivres au Bureau de Bienfaisance où se faisait la répartition.

Le 17 juin au matin, recevant les autorités allemandes, vos premières paroles sont pour leur recommander de respecter les vieillards, les femmes et les enfants.

Le lendemain1, ayant refusé de faillir à l’honneur, vous subissez, dans une localité voisine, les pires outrages, On vous ramène à Chartres où vous êtes emprisonné, maltraité et vous ne devez votre salut qu’au départ de ces premières troupes d’occupation.

Vous avez supporté, sans broncher, avec un courage sublime, ces humiliations, mais vous êtes satisfait, votre cœur de Français n’a pas faibli.

Vous réintégrez votre Préfecture sans parler de ces douloureux incidents et ce n’est qu’à l’altération de vos traits que certains confidents décèlent les souffrances que vous avez endurées.

.........................

Vos administrés, comme vos collaborateurs, ont appris avec regret votre départ ; ils sont consternés de vous voir quitter ce département que vous avez honoré ; vous étiez leur défenseur ; vous étiez leur guide respecté et aimé ; ils sont fiers de leur grand Préfet.

Votre nom appartient désormais à l’Histoire, il sera pour tous un symbole et le synonyme de bonté, d’énergie, de courage, de loyauté, d’honneur et de patriotisme.

.........................

 

1.  C’est le soir même. Voir le journal.

 

HOMMAGES POSTHUMES

EXTRAITS DE DISCOURS

PRONONCES A CHARTRES

 

Discours de M. André Mars, commissaire de la République, le 18 août 1945 (anniversaire de la libération de Chartres) :

 

Comment, en ce jour magnifique… n’évoquerai-je pas, au premier rang de notre gloire, de notre joie d’aujourd’hui, de notre peine de toujours, le nom de Jean Moulin ?

Cette guerre choisit, parmi ses héros, celui qui, au-delà de toutes les vertus, de tous les courages, de toutes les abnégations, incarnera, pour l’éternelle reconnaissance du pays, l’émouvante et frémissante image de l’honneur national.

Jean Moulin serait digne d’être celui-là…

 

Discours de M. Chadel, préfet d’Eure-et-Loir, le 11 novembre 1945, à l’inauguration de la place Jean-Moulin :

 

… Le nom de Jean Moulin, qui fut d’abord celui d’un obscur préfet de la République, est devenu l’un des plus prestigieux dans l’histoire de notre temps…

Jean Moulin ? Je l’invoque, ce nom, comme un exorcisme contre la lâcheté, contre le désespoir, contre la petitesse, contre l’abandon. En cette époque où, ce dont nous avons tous le plus grand besoin, c’est le courage civique, nous chercherions vainement un plus grand exemple que ce préfet de quarante ans, qui a consacré sa vie et sa mort à un idéal formé de deux termes indissociables : la France et la République…

Ce fut ainsi qu’un des premiers il suivit le général de Gaulle, qu’un des premiers il reprit la lutte, la lutte au couteau de la clandestinité. Ce fut ainsi qu’il fonda le C.N.R., organisa la Résistance française, galvanisa les courages défaillants…

Oui, Jean Moulin… C’est à vous que nous avons pensé, le 16 août 1944, quand nous brisions nos chaînes, alors que les brutes allemandes affluaient dans la cour de cette Préfecture, harassées, vaincues, la rage au cœur et la peur au ventre. Comment n’aurais-je pas cru voir parmi nous votre ombre, frêle silhouette martyrisée, cravatée d’un pansement blanc, tel que vous êtes resté dans notre souvenir. Vous qui aviez vu arriver l’ennemi dans sa brutale arrogance et qui pourtant deviniez déjà, dans les brumes de l’avenir, le jour de la colère, le jour de la vengeance. Cette foule ardente de combattants qui, pressés derrière ces grilles, forgeaient une épopée, elle avait une âme, et c’était vous !

 

Discours de M. Maurice Viollette, au banquet Marceau, en mars 1946 :

 

… Comment ne pas penser à ce pur héros qui était des nôtres et qui, dans ce département d’Eure-et-Loir, a inauguré cette entreprise héroïque qu’il devait finir dans je ne sais quelle prison où la torture l’a brisé à jamais ? Qui dira et mesurera quelles auraient été les destinées de la France si, auprès de celui qui était le chef, Moulin avait pu demeurer le conseiller averti, fidèle, intelligent, enthousiaste qu’il était, et qui dira ce que la France républicaine a perdu quand il s’est trouvé effroyablement précipité dans le néant ? Nous qui l’avons connu, nous qui l’avons aimé, nous le savons, et c’est pourquoi nous n’avons en vérité aucun effort à faire pour le rapprocher de Marceau dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire…

 

Plaque commémorative dans la salle des séances du Conseil général, inaugurée le 8 mai 1946 :

 

« A la mémoire de Jean Moulin, préfet d’Eure-et-Loir.

« A refusé, même sous la torture, la signature infamante pour l’armée française qu’exigeait le général allemand, lors de l’occupation de Chartres.

« Révoqué par Vichy en novembre 1940.

« A organisé la Résistance en héros et en est devenu un des grands chefs.

« Arrêté à Lyon, en 1943, est mort victime de nouvelles et effroyables tortures.

« N’a jamais parlé, n’a jamais trahi ni la République, ni la France. »

Cette édition électronique du livre Premier combat de Jean Moulin a été réalisée le 12 mars 2013 par les Éditions de Minuit à partir de l'édition papier du même ouvrage dans la collection « Documents »

(ISBN 9782707304049, n° d'édition 5201, n° d'imprimeur 120544, dépôt légal février 2012).

 

Le format ePub a été préparé par ePagine.
www.epagine.fr

 

ISBN 9782707326928

 




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Êîììåíòèðîâàòü


Íèêîëàé Àëåêñååâè÷ Ñîëîãóáîâñêèé (íàïèñàë êîììåíòàðèé 1 ôåâðàëÿ 2023, 14:53)

Ýòà êíèãà  «PREMIER COMBAT» , «ÏÅÐÂÎÅ ÑÐÀÆÅÍÈÅ» íàïèñàíà Æàíîì Ìóëåíîì (JEAN MOULIN), îäíèì èç ãëàâíûõ ðóêîâîäèòåëåé Ôðàíöóçñêîãî Ñîïðîòèâëåíèÿ â ãîäû Âòîðîé Ìèðîâîé Âîéíû.
Ïóáëèêóåì íà ôðàíöóçñêîì ÿçûêå ïîëíîñòüþ.
Ïðî÷èòàâ åå, âû ïîéìåòå, ïî÷åìó Ôðàíöóçû ïîäíÿëèñü íà áîðüáó ñ íàöèñòñêîé Ãåðìàíèåé, îêêóïèðîâàâøåé Ôðàíöèþ, è ïî÷åìó Ôðàíöèÿ  ñòàëà îäíîé èç ñòðàí-ïîáåäèòåëüíèö â ýòîé âîéíå.
Ðàáîòàåì íàä ïåðåâîäîì íà ðóññêèé ÿçûê.
Íèêîëàé
Ôðàíñóàçà
2023.2.1.

JEAN MOULIN.  PREMIER COMBAT.
PREMIERE PARTIE
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JEAN MOULIN.  PREMIER COMBAT.
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JEAN MOULIN

PREMIER  COMBAT

Préface du Général de Gaulle

LES ÉDITIONS DE MINUIT
© 1947 by LES ÉDITIONS DE MINUIT pour l'édition papier

© 2013 by LES ÉDITIONS DE MINUIT pour la présente édition électronique
www.leseditionsdeminuit.fr
ISBN 9782707326928
Îòâåòèòü
Íèêîëàé Àëåêñååâè÷ Ñîëîãóáîâñêèé (íàïèñàë êîììåíòàðèé 1 ôåâðàëÿ 2023, 21:10)
Íà÷àëî ïåðåâîäà êíèãè Æàíà Ìóëåíà

ÆÀÍ ÌÓËÅÍ

ÏÅÐÂÎÅ ÑÐÀÆÅÍÈÅ

Ïðåäèñëîâèå ãåíåðàëà äå Ãîëëÿ

© 1947. LES EDITIONS DE MINUIT, äëÿ áóìàæíîãî èçäàíèÿ.
© 2013,LES EDITIONS DE MINUIT,  äëÿ  ýëåêòðîííîãî èçäàíèÿ www.leseditionsdeminuit.fr
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ÏÐÅÄÈÑËÎÂÈÅ

ÌÀÊÑ, ÷èñòûé è äîáðûé òîâàðèù äëÿ òåõ, êòî âåðèë òîëüêî âî Ôðàíöèþ, óìåë ãåðîè÷åñêè óìåðåòü çà íåå.
Îí ñàì íèêîãäà íå ðàññêàæåò î êëþ÷åâîé ðîëè, êîòîðóþ îí ñûãðàë â íàøåé áîðüáå, íî ìû íå áåç âîëíåíèÿ ïðî÷èòàåì Äíåâíèê, íàïèñàííûé  Æàíîì Ìóëåíîì   î ñîáûòèÿõ, êîòîðûå ïðèâåëè åãî, íà÷èíàÿ  ñ 1940 ãîäà, ê òîìó, ÷òîáû ñêàçàòü «íåò» âðàãó.
Ñèëó õàðàêòåðà, äàëüíîâèäíîñòü è ýíåðãèþ, êîòîðûå îí ïðîÿâèë, íåâîçìîæíî îáîëãàòü.
Åãî äåëî  æèâåò! Ïóñòü áóäåò æèòü åãî èìÿ!

Øàðëü äå ÃÎËËÜ,
1 èþíÿ 1946 ãîäà.


ÂÂÅÄÅÍÈÅ


Íå áåç âîëíåíèÿ ÿ ïðåäñòàâëÿþ ïóáëèêå ýòè ñòðàíèöû, â êîòîðûõ ìîé áðàò ðàññêàçàë î ïå÷àëüíûõ äíÿõ 1940 ãîäà â Øàðòðå è î ñâîåì ãåðîè÷åñêîì ñîïðîòèâëåíèè íàöèñòñêèì çâåðÿì.
Îíè áûëè íàïèñàíû â Ìîíïåëüå âåñíîé 1941 ãîäà, âî âðåìÿ îäíîãî èç åãî òàéíûõ âèçèòîâ ê ñåìüå. Åãî âîñïîìèíàíèÿ  î ñîáûòèÿõ, êîòîðûå ïðîèçîøëè íåñêîëüêî ìåñÿöåâ ðàíüøå, áûëè  óäèâèòåëüíî ÿðêèìè.
ß äî ñèõ ïîð âèæó ñâîåãî áðàòà, ñêëîíèâøåãîñÿ íàä áóìàãîé è  îïèñûâàþùåãî ïî÷òè áåç ïîìàðîê è ÷àñ çà ÷àñîì ýòàïû ñâîåé áîðüáû è  ìó÷åíè÷åñòâà.
Äî ñèõ ïîð ÿ çíàëà òîëüêî îò òðåòüèõ ëèö èëè ïî ìèìîëåòíûì íàìåêàì, äî êàêèõ âûñîò ïàòðèîòèçìà îí ïîäíÿëñÿ â òðàãè÷åñêèå äíè íåìåöêîãî âòîðæåíèÿ.
Îí íå ëþáèë õâàñòàòüñÿ  è, ñòîëü óâåðåííûé â  ñåáå, áûë ñäåðæàí â ÷óâñòâàõ ÷òî ïîðàæàëî  äàæå ñàìûõ áëèçêèõ åìó ëþäåé. Äóìàþ, ÷òî îí íå õîòåë âñïîìèíàòü äðàìó 17 èþíÿ.
Çàêîí÷èâ ðàáîòó, îí äàë  ìíå ïðî÷åñòü Äíåâíèê è äîâåðèë åãî õðàíåíèå. Ìû ïî÷òè íè÷åãî íå ñêàçàëè äðóã äðóãó, íî íàøè ìûñëè è ñåðäöà ñòàëè åùå áîëåå áëèçêèìè, ÷åì êîãäà-ëèáî. Ïðåæäå ÷åì ïðåäïðèíÿòü íà ñâîè ñîáñòâåííûå ñðåäñòâà ñâîþ ïåðâóþ ïîåçäêó â Ëîíäîí, îí õîòåë îñòàâèòü  äëÿ Èñòîðèè ýòî ñâèäåòåëüñòâî íåìåöêîãî âàðâàðñòâà è ñàäèçìà. Ïóáëèêóÿ Äíåâíèê, ÿ ïîä÷èíÿþñü åãî âîëå.
Íà ýòèõ ñòðàíèöàõ ìîæíî íàéòè íåêîòîðûå îöåíêè, êîòîðûå ïîêàæóòñÿ ñóðîâûìè. Ìû äîëæíû âåðíóòüñÿ â àòìîñôåðó èþíÿ 1940 ãîäà è ïåðåæèòü ñîñòîÿíèå  ïàòðèîòà, ïðèëîæèâøåãî ñâåðõ÷åëîâå÷åñêèå óñèëèÿ äëÿ ïðîòèâîäåéñòâèÿ ïîðàæåíèþ,  è ðóêîâîäèòåëÿ, ãîòîâîãî ïîãèáíóòü  íà ñâîåì ïîñòó, íî íå äîïóñòèòü äðóãèì îïëîøíîñòåé. Åñëè áû îí áûë æèâ, îí ìîã áû ïåðåñìîòðåòü íåêîòîðûå èç ýòèõ ñóæäåíèé. Ìû óïîìèíàåì îá ýòîì, ÷òîáû íå  áðîñèòü â êîãî-òî êàìåíü.
Íà ìãíîâåíèå îí ïîäóìàë î òîì, ÷òîáû âçÿòü Äíåâíèê â Ëîíäîí, íî ýòî ìîãëî ñêîìïðîìåòèðîâàòü ïîåçäêó, èìåâøóþ  ðåøàþùåå çíà÷åíèå äëÿ áóäóùåãî Ñîïðîòèâëåíèÿ.
ß îòâåçëà ðóêîïèñü â Ïðîâàíñ âìåñòå ñ äðóãèìè áóìàãàìè, êîòîðûå ìîãëè áû åãî îñòàâèòü ïîä óäàð, â ìåñòå÷êî «Ëà Ëåê», çàòåðÿííîå â Àëüïèëÿõ, ñòîëü  ðîäíîå äëÿ  ìîåãî áðàòà. Èìåííî òàì, âîçâðàùàÿñü èç Ëîíäîí  31 äåêàáðÿ 1941 ãîäà, îí äîëæåí áûë ïðûãíóòü ñ ïàðàøþòîì.
Ïîñëå Îñâîáîæäåíèÿ ÿ   ðàñêîïàëà ñïðÿòàííûå  áóìàãè. Åñëè íå ñ÷èòàòü ðæàâ÷èíû íà ñêîáêàõ, ïëåñåíè è ïÿòåí, ñòðàíèöû îñòàëèñü öåëûìè.
Ïî÷åìó ÿ òàê äîëãî íå èçäàâàëà ýòîò Äíåâíèê?   Ïîòîìó,   ÷òî  äàæå ïîñëå Îñâîáîæäåíèÿ áûëè ñîìíåíèÿ â èñòèííîé ñóäüáå Ìàêñà è  ìîåé ãëàâíîé öåëüþ áûëî ðàçãàäàòü òàéíó   èñ÷åçíîâåíèÿ Ìàêñà. Òàêèì áûëî èìÿ  Æàíà Ìóëåíà â Ôðàíöóçñêîì Ñîïðîòèâëåíèè.
Òåïåðü, êîãäà ñîìíåíèÿ  ðàññåÿëèñü, ïðèøëî âðåìÿ ðàññêàçàòü  Ôðàíöèè î  ïåðâîì  ñðàæåíèè  áóäóùåãî ðóêîâîäèòåëÿ  Ôðàíöóçñêîãî Ñîïðîòèâëåíèÿ.
Êîãäà âå÷åðîì 17 èþíÿ 1940 ãîäà  ýñýñîâöû èëè äðóãèå óáëþäêè, îïüÿíåííûå ñâîèìè íàïàäåíèåì, ïðèøëè àðåñòîâàòü åãî â ïðåôåêòóðó Øàðòð, Æàí Ìóëåí áûë âñåãî ëèøü ïðåôåêòîì, îñòàþùèìñÿ íà ñâîåì ïîñòó â ðàçãàð âñåîáùåãî äåçåðòèðñòâà, ãîñóäàðñòâåííûì ñëóæàùèì, âûïîëíÿþùèì ñâîé äîëã âîïðåêè âñåìó. ×óäî, ñïàñøåå åãî òîãäà, ê ñîæàëåíèþ, íå ñìîãëî  ïîâòîðèòüñÿ.
Ïðîøëî òðè ãîäà îïàñíîé æèçíè, íàïðÿæåííîé ðàáîòû, áäåíèé, äèñêîìôîðòà, íåïðåêðàùàþùèõñÿ ïåðååçäîâ, ôèçè÷åñêèõ óñèëèé, äåëèêàòíûõ ïåðåãîâîðîâ  ïî ñîçäàíèþ êðåïêîé  è ïðîäóìàííîé  îðãàíèçàöèè, êóëüìèíàöèåé êîòîðûõ ñòàëî îñíîâàíèå Íàöèîíàëüíîãî Ñîâåòà Ñîïðîòèâëåíèÿ è åãî ïåðâîå çàñåäàíèå. â Ïàðèæå 27 ìàÿ 1943 ãîäà. Ìåíåå ÷åì ÷åðåç ìåñÿö, 21 èþíÿ, â Ëèîíå, ïî äîíîñó ïðåäàòåëÿ, îí âíîâü îêàçàëñÿ  â ðóêàõ íàöèñòîâ. Íî íà ýòîò ðàç îí áûë óæå íå àíîíèìíûì ïðåôåêòîì, à Ìàêñîì, ñàìûì ãðîçíûì âðàãîì Áîøåé, ÷åëîâåêîì, êîòîðûé, ïðè ïîääåðæêå ãåíåðàëà äå Ãîëëÿ, ñïëîòèë è ïîäíÿë âñå æèâûå ñèëû Íàöèè.
Êîíå÷íî, â 1940 ãîäó â Øàðòðå íåìåöêàÿ æåñòîêîñòü áûëà « â çåíèòå», íî ïûòêà, êàêîé áû áåñ÷åëîâå÷íîé è èçîùðåííîé îíà íè áûëà òîãäà, âñå æå áûëà  èìïðîâèçèðîâàííîé, à íå òåõíè÷åñêè óñîâåðøåíñòâîâàííîé  ñ åå àäñêèìè êàìåðàìè è ïðîäóìàííûìè äîçèðîâêàìè.
Êàêîâû áûëè ìó÷åíèÿ Ìàêñà â 1943 ãîäó, â çàñòåíêàõ ãåñòàïî, -  ìû íèêîãäà  íå óçíàåì. ×åëîâåê, êîòîðûé  õðàíèë  âñå òàéíû Ñîïðîòèâëåíèÿ, âåðíûé äðóæáå è  ÷åñòè,   òåðïåë  ïëîòüþ è äóøîé,  èñòåêàÿ êðîâüþ, ÷àñû, äíè è   ñòðàäàíèé îò ðóê âðàãà äî àãîíèè, äî ñìåðòè!
Òû, êòî äàæå â ñåðåäèíå ñâîåãî ïóòè  äûøàë ìîëîäîñòüþ è æèçíüþ, òû, êòî áûë ñàìûì ìîëîäûì ïðåôåêòîì Ôðàíöèè, òû, êòî áûë ãîðäîñòüþ òâîåãî îòöà è óëûáêîé òâîåé ìàòåðè, òû, êòî ñîåäèíèë äîáðîòó ñ ñèëîé äóøè è êòî îñîçíàë ýòîò âûçîâ áûòü ïðèðîæäåííûì õóäîæíèêîì è ÷åëîâåêîì äåéñòâèÿ, ñòðàñòíî ëþáèë æèçíü è íå áîÿëñÿ ñìåðòè, âåðÿ, ÷òî òâîÿ æåðòâà íå áûëà íàïðàñíîé! Ïóñòü ýòà ñòðàíà ñâîáîäû è ñïðàâåäëèâîñòè çíàåò, ÷òî íåîáõîäèìî, ÷òîáû ÷óâñòâî ãðàæäàíñêîãî äîëãà âîçîáëàäàëî íàä ïàðòèéíûì äóõîì è ÷òîáû ôðàíöóçû ñíîâà óñëûøàëè ãîëîñ Æàíà Ìóëåíà  è åãî ïðèçûâ: «Ãîñïîäà, ýòî Ôðàíöèÿ! »
Ëîðà Ìóëåí.
Îòâåòèòü